XXXVe Edition du Certamen Ciceronianum d’Arpino : la solitudo et l’otium que Cicéron a ressentis dans sa vieillesse

 Il est de ces auteurs dont le propos demeure intemporel, dont le message, porteur de valeurs essentielles et immarcescibles, ne cesse de nous étonner par son inaltérable modernité. Au-delà de l’éveil culturel suscité, de la rigueur imposée, de l’ouverture intellectuelle proposée, la pratique du Latin est peut-être voire avant tout l’occasion de partir à la rencontre de ces écrivains des temps antiques ; l’occasion de confronter leurs us et coutumes avec les nôtres ; l’occasion de bâtir une grille de lecture des événements contemporains, en y ajoutant un regard critique sur nos mœurs que l’ont dit parfois plus policées ou plus affinées, mais qui, somme toute, ne sont pas sans rappeler ces siècles de traditions qui nous précèdent. En ce sens, oui le Latin est une langue morte, mais plus que jamais, son apprentissage demeure enraciné dans notre héritage culturel et trouve son avènement dans l’actualité présente, dans les valeurs à vocation universelle qui s’y trouvent véhiculées.

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                  Cicéron incarne peut-être à lui seul ces épithètes de modernité et d’intemporalité. Sous sa plume, au travers de ses discours ou de ses œuvres philosophiques, l’avocat-philosophe-homme politique-maître d’éloquence, ce Romain aux multiples facettes, est parvenu à transcender le regard porté sur sa République décadente : il s’inscrit en faux contre les meneurs d’armées qui se disputent le pouvoir, ultimes fossoyeurs de la République romaine agonisante, et ouvre ainsi une brèche en son temps et pour le nôtre. Paradigmes de vertu et d’idéal républicain, modèles inspirateurs de sagesse et d’éloquence, les écrits de Cicéron, au-delà d’une lecture passéiste ou purement littérale, doivent faire vibrer notre sensibilité présente, mais surtout doivent conserver une vocation unificatrice, fédératrice … universelle tout simplement.

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                  Tel est peut-être l’objectif de concours tels que celui des Rencontres Latines ou du Certamen Ciceronianum d’Arpino. Outre l’émulation engendrée par la compétition, la traduction d’un même texte de version latine est source d’enrichissement, de dépassement et de rencontres pour tout qui participe à de tels événements. Et tout naturellement, c’est le grand Cicéron qui y est à chaque fois mis à l’honneur, au travers d’extraits à traduire qui conservent une vibrante note d’actualité en ce début de XXIe siècle où il est souvent question du péril encouru par nos démocraties, de la démobilisation politique chez les jeunes et de bien d’autres problématiques de la plus haute importance que le brillant auteur semblait, déjà à l’époque, éprouver, dénoncer ou plutôt contre lesquelles il souhait mettre en garde les hommes de bien.

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                  En cette année de rhétorique, que ce soit au travers du cours de Français ou au travers du cours de Latin, je ne pouvais manifestement pas échapper à l’éloquence cicéronienne ; on ne peut passer outre la concinnitas, exordium, narratio, peroratio et autres piliers de l’art oratoire que sont l’argumentation, l’émotion et la séduction. Derrière ces vocables techniques se cache le talent d’un homme, celui de Cicéron, qui a traversé les siècles et qui continue de nous émerveiller aujourd’hui. Cependant, plus que tout cela, le père de l’éloquence moderne avait coutume de dire que l’orateur est avant tout « un homme de bien, sachant bien parler ». C’est cet aspect, cette vertu intrinsèque et propre à son œuvre, qui m’a réellement fasciné tout au long de cette année qui fut en partie, mais ô combien intensément, placée sous le signe de celui qu’on appelait le maître du forum.

                  Une bonne prestation aux Rencontres latines donnait accès au Certamen Ciceronianum d’Arpino ; ce fut pour moi une immense joie, un incroyable honneur mais surtout une très grande responsabilité que de joindre la délégation belge pour Arpino, petite ville natale de Cicéron nichée à flanc de montagne dans la région du Latium, à quelques encablures de la capitale Rome. Grâce à l’intense préparation, aussi bien au niveau de la traduction que du commentaire (car lors du concours à Arpino, il faut joindre un exercice de commentaire à la traduction de l’extrait), il m’a été donné de découvrir les styles littéraires et oratoires, mais surtout la vie d’un homme que la force des événements, le hasard de sa propre vie ont amené au sommet du pouvoir, et qui tout après l’ont précipité de son piédestal, livré en pâtures aux querelles intestines qui ravageaient alors le forum romain. Connu entre autre pour avoir déjoué la conjuration de Catilina alors qu’il occupait les premières fonctions de l’Etat, étudié pour sa verve et son expédient rhétorique, se réfugiant dans le genre philosophique quand la conjoncture l’éloignait du devant de la scène politique, Cicéron ne cessera jamais de manifester son attachement pour la République et concevra une amère déception devant l’ambition sans vergogne des dépeceurs de son idéal éthico-politique. Cette version de la XXXVe édition du Certamen avait d’ailleurs pour objet cette solitudo et otium, la solitude et le repos forcés et contraints que Cicéron a éprouvés dans ses dernières années.

                  Sublime extrait entamant le livre troisième du De Officiis, le passage choisi fait état de l’impuissance de l’Arpinate à reconquérir le pouvoir et à faire valoir l’iniquité et la dépravation à laquelle l’Etat est en proie. « (…) Le sénat n’est plus, la justice est anéantie; que trouverais-je au forum ou dans le palais des Pères qui fût digne de m’occuper? Aussi, moi qui vivais naguère au milieu du peuple , exposé à tous les regards, je fuis maintenant la vue des infâmes qui ont tout envahi; je me cache autant qu’il m’est permis, et je me trouve souvent dans la plus complète solitude.[1] (…)» Incarnation d’une morale à toute épreuve, Cicéron élève ici son talent littéraire contre les abus de tous les puissants, et son propos se mue en plaidoyer universel et intemporel contre la corruption de la justice et des institutions : l’analogie avec notre monde contemporain, si elle n’est pas évidente, n’en demeure pas moins plus que pertinente…

                  Cette solitude, Cicéron a sans doute tenté de l’oublier dans son village natal d’Arpino… et on le comprend. Il faut avouer que le cadre est vraiment exceptionnel ; entre deux vallées, Arpino m’a émerveillé par son caractère pittoresque, par les magnifiques paysages qui surgissent au détour de l’une ou l’autre rue. La petite place, cœur battant du village, se mue le temps d’une semaine en carrefour des nationalités : on y parle toutes les langues, on y danse, on y chante, on y mange bien aussi… de quoi en perdre son Latin. Néanmoins, il s’agit vite de retrouver ses mots car le Certamen est l’événement marquant de l’année et revêt une importance majeure pour tout Arpinate qui se respecte, du maire au chef de la police en passant par le petit boulanger du coin. Même l’abbaye de Monte Cassino, non loin de là, un petit paradis perdu au sommet du Mont Cassin, ne manque pas d’accueillir les participants au concours. D’ailleurs, le chef de la congrégation bénédictine y va chaque année de son petit discours… en Latin cela va de soi. Le temps du Certamen, c’est toute une région qui se met au rythme de la vie et des œuvres de Cicéron. Néanmoins, ce voyage fut aussi l’occasion de découvrir Rome, lieu des actes politiques de l’auteur romain, autrement qu’au travers des descriptions faites en classe : durant une semaine nous avons eu l’occasion de visiter toute une série de monuments, des plus connus (Saint-Pierre, Forum romain, Piazza Navona, Fontaine de Trevi…) aux moins connus. Notre délégation a même été reçue à l’ambassade de Belgique.

                  Cette année, si le vainqueur est comme à l’accoutumée de nationalité italienne, la Belgique empoche une mention et la sixième place au classement général. Viktor Francq de l’Athénée royale de Binche et Martijn Jaspers du Collège Saint-Hubert de Neerpelt ont respectivement offert ces deux récompenses exceptionnelles à notre délégation, composée de 17 jeunes venus aussi bien de Wallonie, que de Bruxelles ou de Flandre, aussi bien des réseaux libres qu’officiels. C’est peut-être cela le plus beau avec cette expérience : quand je disais que le Latin était porteur de valeurs universelles, je l’ai vraiment ressenti au travers de cette semaine fantastique passée en leur compagnie, loin des problèmes communautaires ou linguistiques, loin de tout autre problème d’ailleurs. Nous parlions aussi bien Français que Néerlandais ou Anglais, nous formions véritablement une délégation soudée. Toutes ces personnes constituent plus que des compagnons d’une semaine ; elles sont véritablement devenues des amis. Si à l’avenir un élève du Collège devait vivre la même expérience, je lui souhaite véritablement de rencontrer des personnes tout aussi exceptionnelles, unies par la même passion qu’est le Latin.

                  De nombreux acteurs sont impliqués dans le succès de cette formidable semaine. Je voudrais ainsi remercier mes 16 compatriotes latinistes, compagnons, amis. Mais aussi les quatre formidables accompagnateurs qui ont étayé nos visites de leurs commentaires aussi fouillés que passionnants, et dans les deux langues s’il vous plaît ! Sans eux, sans leur attention bienveillante, sans leur expérience et leur joie de vivre, le voyage n’aurait sans doute pas eu la même saveur. Laissez moi également remercier toutes les personnes responsables de l’organisation, minutieuse et sans accroc, de notre périple : avec un remerciement tout spécial à M. Xhardez, préfet du troisième degré au Collège et Président du comité des Rencontres latines, qui a su répondre à mes éventuelles interrogations et inquiétudes avant le départ. Je voudrais aussi féliciter les autres participants du Collège aux Rencontres latines, qui se sont distingués par une brillante participation et qui ont fait honneur à notre école.

                  Finalement, mes dernières lignes iront, et c’est tout légitime je crois, aux professeurs de Latin qui ont jalonné mon parcours au Collège. Par leur passion ininterrompue, leur immense culture et leur savoir-faire pédagogique, ce sont eux véritablement qui ont éveillé chez moi la passion de la traduction d’extraits latins, qui m’ont apporté la rigueur dans les explications grammaticales ainsi que bien d’autres outils qui me seront, j’en suis persuadé, grandement utiles dans ma vie future.

                                                                                                                                                                  Druez Maxime

[1] Traduction s.dir. M. Nisard, 1864